En Afrique, les bonnes mœurs interdisent de manière générale toute relation
sexuelle entre un époux et les parents de son conjoint. Les contrevenants à ce
principe s’exposent à la foudre des dieux.
En effet, toute personne qui s’acoquine avec le conjoint de son parent est coupable
d’inceste et doit de ce fait suspendre toute sorte de relation sociale avec le ou la
cocu(e) sous peine de mort pour les deux parents. Une mort qui survient à la suite
d’une mystérieuse maladie, incurable pour la médecine moderne mais maîtrisée par
les garants de la tradition.
Cette sacro-sainte tradition est toute fois commuée en cas de décès de l’un des
conjoints en une obligation de faire. La veuve pour se conformer à la coutume
convolera avec le frère de son défunt époux et c’est ce qu’on appelle le lévirat.
Contrairement à certaines valeurs culturelles spécifiques à l’Afrique qui ont changé
avec le temps, le lévirat persiste et semble s’accommoder avec les mutations
sociales en cours.
Les fondements de la coutume
L’organisation même de la société traditionnelle togolaise se prête à la pratique du
lévirat. Pour avoir un foyer stable, il ne suffit pas à la femme de s’assurer des
sentiments de son conjoint. Il lui faut nécessairement avoir l’assentiment de sa
famille d’accueil. Ses belles sœurs qui sont de par la coutume investies d’un pouvoir
mystique de vie et de mort sur sa progéniture mais aussi ses beaux frères à qui elle
doit une certaine révérence et pour cause.
Contrairement aux dispositions légales, devant la tradition, ces personnes sont les
premiers héritiers de l’époux en cas de décès. Or, La femme dans ce milieu n’a pas
droit à la propriété. Tout ce dont elle dispose est sensé appartenir à son époux, les
fruits de ses activités notamment. C’est dire qu’en cas de veuvage, à moins d’avoir le
quitus de l’héritier successeur de son défunt époux par le biais du lévirat, elle ne
saurait avoir accès aux moyens de subsistance qu’elle a elle-même contribué à
construire.
De toute évidence, la société a mis en place une structure intelligente pour
conditionner la femme et l’obliger à agir dans le sens voulu. La femme n’est pas
assimilée à un héritage qui revient de droit au successeur désigné mais est
contrainte par le besoin de survie à se chosifier.
Une autre raison non moins importante sous-tend la résignation de la femme au
lévirat : l’éducation de ses enfants. En effet, à la mort de leur père, les enfants sont
systématiquement confiés à la garde de son successeur désigné, en général son
jeune frère. La veuve qui s’oppose au lévirat court alors le risque d’être séparée de
ses enfants même mineurs. Autant dire que la tradition du lévirat est une violence
faite à la femme, ce que contestent les promoteurs de cette tradition.
La justification sociale de la pratique
Les défenseurs du lévirat s’opposent à toute approche qui fustige cette culture. Ils y
trouvent un élan de charité, un correctif de l’injustice de la nature que constitue la
mort du père de famille.
Le lévirat offrirait à la veuve une espérance en une nouvelle vie normale surtout que
des superstitions en pareilles circonstances tendent à la condamner à la solitude. Il
constitue également un honneur pour elle en reconnaissance de ses qualités
puisqu’une veuve reconnue coupable du décès de son époux n’y a pas droit. Loin
d’être une imposture, cette coutume serait l’expression de la loyauté des personnes
les plus aptes à garantir la pérennité de la lignée du défunt : son épouse et son
successeur légitime.
La prise en charge adéquate des orphelins surtout mineurs est un problème que seul
le remariage du conjoint survivant avec le successeur désigné pourrait légitimement
régler puisqu’il n’est pas question que les biens du défunt ainsi que ses enfants
quittent la famille, un fait incontournable en cas de remariage de la veuve avec un
autre.
A propos de loyauté, le nouveau père de famille supporte la responsabilité d’assumer
toutes les charges léguées par le défunt. Dans ces conditions, le lévirat permet par
exemple à une veuve frappée d’une quelconque incapacité d’assumer le devoir
conjugale (maladie, âge avancé…) de toujours bénéficier, grâce à son nouvel époux,
des conditions d’une vie décente pour elle et pour ses enfants mineurs. Le plus
important dans cette tradition n’est donc pas le contacte physique mais la cohésion
sociale, la réparation du dommage causé à la femme par la perte de son mari. Autant
dire que la femme et les enfants sont les plus grands bénéficiaires de cette tradition.
Cette lecture du phénomène semble partagée par plus d’un dans la mesure où,
malgré les pressions légales et les actions en sensibilisations contre le lévirat, la
pratique persiste et s’accommode aux réalités de la vie moderne.
Les mutations du principe
Les fondements de la coutume se font de plus en plus fragiles. Sur cette base, on
pourrait prétendre à l’éradication à terme du phénomène mais rien de telle n’est
sérieusement perceptible à l’heure actuelle. Au contraire, la pratique persiste avec
par endroit des changements significatifs. La femme selon les normes légales jouit
désormais du droit à la propriété et peut dire non au mariage forcé dont le lévirat est
une forme même si dans les faits, cette liberté souffre d’entorses graves. Le droit
coutumier fonde désormais le lévirat sur le consentement des parties. Dans des
localités acquises aux droits de l’homme et à l’équité genre, il arrive tout de même
que des femmes acceptent le lévirat par commodité…
Avant même que la question des funérailles ne soit réglée, des affinités se tissent
avec le successeur désigné qui se confond de plus en plus avec la personne la plus
riche de la famille du défunt du fait de sa situation sociale. Le vice et la polygamie y
trouvent leur compte. Les nouveaux « adeptes » du lévirat ne sont pas seulement
des analphabètes mais aussi des intellectuels qui se cachent derrière des masques
de convenance. Il s’agit de plus en plus de relations négociées. Il est aussi question
de statut sérologique. Le lévirat, contrairement à ce que l’on pourrait croire, prend
l’allure d’une pratique tolérée.
Akouvi E. Agbokou